La légalisation de l’euthanasie active : l’ultime liberté de mourir

« Pourquoi endurer une cruelle agonie quand la mort peut vous délivrer d’une vie qui n’est devenue que survie douloureuse sans espoir de guérison », s’est exclamé le député Olivier Falorni devant l’Assemblée nationale, ce jeudi 8 avril 2021. Le socialiste a proposé une loi légalisant l’euthanasie active, également désignée sous le nom de « suicide assisté ». Dans la continuité de la loi Claeys-Leonetti de 2016, qui consacre un droit au « laisser mourir », le texte permettrait non seulement le choix de sa fin de vie mais aussi une liberté de mourir. La consécration d’une liberté de mourir institutionnaliserait une « libéralisation de la mort »[1] dont l’aboutissement serait une totale libre-disposition de soi et de son corps.

La libéralisation de la mort

Si la mort devient objet de liberté, cela conduit à octroyer aux individus un droit de mourir intrinsèquement lié à un droit de faire mourir.

Un droit de mourir

En proposant une loi garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie, le député Falorni souhaite établir un droit de mourir qui s’exercerait à travers le choix donné au patient de sa fin de vie puis de sa mort. Ce choix doit être subordonné à un consentement dont on peut légitimement questionner la qualité et la persistance. La loi Leonetti de 2005 a posé la solution des directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance. Celles-ci permettraient l’enclavement du consentement du patient lorsqu’il est encore capable de manifester librement sa volonté. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Vincent Lambert, impose la recherche de la volonté du patient lorsque les avis des tiers sont contraires. De même, la proposition de loi d’Olivier Falorni fait primer la volonté du patient sur le choix de la personne de confiance.

Ce libre-choix va de pair avec le droit de refus des traitements médicaux qui conduiraient à une « obstination déraisonnable » et le droit au respect de la vie, que le Conseil d’Etat a reconnu en tant que liberté fondamentale par ordonnance du 24 juin 2014. L’interdiction de l’acharnement thérapeutique s’inscrit dans un droit de fin de vie digne et apaisée, consacrée par la loi Claeys-Leonetti de 2016. Ainsi, s’il existe un droit de mourir, celui-ci devra être exercé proportionnellement à l’atteinte au droit à la vie et dans le respect de la dignité de la personne humaine.

Si la légalisation de l’euthanasie active consacrerait un droit de mourir, elle permettrait, par la même occasion, un droit de faire mourir.

Un droit de faire mourir

L’euthanasie est interdite pénalement,  à l’exception de l’euthanasie passive, légalisée par la loi Leonetti de 2005. L’article 225-1 du code pénal pose quatre qualifications de l’euthanasie comme infraction pénale, comme l’homicide involontaire. La consécration d’un droit de mourir est liée à la consécration d’un droit de faire mourir dont l’enjeu est la pénalisation. Dans l’hypothèse de la dépénalisation du droit de faire mourir, qu’en serait-il de l’encadrement juridique ? La tendance à la judiciarisation de toutes les relations sociales laisse croire à une décision d’euthanasie par le juge. Or, le juge aurait ainsi un droit de vie ou de mort sur autrui. Un tel droit serait attentatoire au respect du droit à la vie. En effet, quand bien même l’on disposerait d’une liberté de mourir, autrui ne saurait disposer d’un droit de mort sur notre personne.

La consécration d’une liberté de mourir créé un droit de mourir et de faire mourir permettant, alors, une totale libre-disposition de soi et de son corps.

Une totale libre-disposition de soi et de son corps

La liberté de mourir est liée au droit à une mort digne, lui-même fondé sur une liberté absolue de disposer de son corps.

Le droit à une mort digne

En principe, la personne humaine a droit au respect de sa dignité. Ce principe a valeur constitutionnelle. Depuis les lois bioéthiques de 1994, il a conduit à se questionner sur le choix d’une mort digne, au regard de sa propre conception de la dignité. En effet, si toute personne dispose du droit à une vie et une fin de vie dignes, le choix d’une mort digne semble la suite logique. Le droit à la vie, prévu par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, a pour corollaire une libre-disposition de sa vie. La libre-disposition de sa mort pourrait permettre la consécration d’une liberté de mort. Cette ultime liberté serait construite parallèlement au droit à la vie. La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt « Pretty c. RU » du 29 avril 2002, n’a pas reconnu l’atteinte à la dignité par l’interdiction de l’euthanasie active. Dans cet arrêt, le juge européen a retenu que le choix de sa mort ne peut découler du droit à la vie. De plus, il relève que s’il existe un droit à la vie, il n’existe pas de choix de vivre. Une liberté de mourir ne saurait donc être consacrée parallèlement au droit à la vie.

La liberté de mort permettrait le choix de mourir dans la dignité mais, également de disposer librement de son corps.

La liberté de disposer de son corps

En principe, le corps est indisponible. La liberté de mourir permettrait la disposition  complète de son corps, dans la continuité de la totale disposition du corps de la femme, grâce à la loi IVG de 1975. Le choix de l’arrêt du fonctionnement de son corps s’inscrirait dans la liberté fondamentale de refus de traitement dont le résultat serait l’acharnement thérapeutique. La légalisation de l’euthanasie respecterait le principe d’autonomie du patient, en vertu de la loi Kouchner de 2002. Cela traduit la fin du paternalisme médical pour laisser place à une primauté de la volonté individuelle. La libéralisation de la disposition de son corps se heurte au respect de la vie privée. L’interdiction euthanasique pourrait être considérée comme une ingérence de l’Etat dans la vie privée de l’individu. L’euthanasie devrait alors être appréciée au même titre que le suicide, malgré le rôle essentiel du tiers. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas retenu cette ingérence et interdit l’incitation au suicide. Par conséquent, le droit à la vie reste la liberté absolue que la volonté et l’individualisme ne peuvent (pas encore) atteindre.

 

Article rédigé par Aracelis Ferreiras, étudiante à l’Université Paris II Panthéon Assas

Références :

[1] Proposition de loi nº 288 donnant le droit à une fin de vie libre et choisie

[2] Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (1)

[3] CE, Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert, n°s 375081, 375090 et 37509

[4] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (1)

[5] Pretty c. Royaume-Uni – 2346/02 Article 2 Article 3 Article 8

[6]  Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (1)

[7] GRANDE CHAMBRE AFFAIRE LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE (Requête no 46043/14) ARRÊT STRASBOURG 5 juin 2015 Cet arrêt est définitif

[8] Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud /Paris-Saclay

 

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